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13 mars 2005

Précisions anthropologiques : Lorsque la souffrance détruit l'homme

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Ghislaine SURREL

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FORUM DE LA DOULEUR Paris, 13 mars 2005

Précisions anthropologiques : Lorsque la souffrance détruit l'homme

La douleur mêle toujours le corps et le sens, rompant l'évidence du rapport au monde et altérant la relation aux autres. Elle n'est jamais seulement physique, mais touche l'homme en son entier, bouleverse son existence. En cela, elle n'écrase pas tant le corps que l'individu tout entier.

Par DAVID LE BRETON*

UNE DOULEUR n'est pas le décalque dans la conscience d'une effraction organique, elle mêle le corps et le sens. Elle est somatisation et sémantisation. Elle n'est pas une sensation, mais une perception, c'est-à-dire la confrontation d'un événement corporel à un univers de sens et de valeur. Le ressenti n'est pas l'enregistrement d'une affection, mais la résonance en soi d'une atteinte réelle ou symbolique. Le sens n'est pas contenu dans les choses, il s'instaure dans la relation avec les choses et dans le débat noué avec les autres pour leur définition, dans la complaisance ou non du monde à se ranger dans ces catégories. Sentir le monde, même la douleur, est une autre manière de le penser, de le transformer de sensible en intelligible. L'expérience humaine tient d'abord aux significations avec lesquelles le monde est vécu, car ce dernier ne se donne pas sous d'autres auspices.
La douleur n'est pas seulement un fait physiologique, elle est d'abord un fait d'existence. Ce n'est pas le corps qui souffre, mais l'individu dans le sens et la valeur de sa vie. La douleur du malade est un embrasement de souffrance à vif qui dévore toute l'énergie et ne laisse rien disponible pour la vie courante. Elle est une effraction au cœur de son sentiment d'identité. L'homme ne se reconnaît plus et son entourage découvre avec surprise qu'il a cessé d'être lui-même. Toute douleur induit une métamorphose, elle transforme en profondeur pour le meilleur ou pour le pire l'homme qui est frappé par elle (Le Breton, 1995).
La douleur n'est pas cantonnée à un organe ou à une fonction, elle est aussi morale. Le mal de dent n'est pas dans la dent, il est dans la vie. L'homme souffre dans toute l'épaisseur de son être, de son histoire. On distingue traditionnellement la douleur, atteinte de la chair, et la souffrance, atteinte de la psyché. Cette distinction commode est simultanément ambiguë en ce qu'elle oppose sans ciller le corps et l'homme comme deux réalités distinctes, faisant ainsi de l'individu le produit d'un collage surréaliste entre une âme et un corps. La douleur n'écrase pas le corps, elle écrase l'individu, elle rompt l'évidence de son rapport au monde, elle brise l'écoulement de la vie quotidienne et altère la relation aux autres.
La douleur est toujours contenue dans une souffrance, elle est d'emblée un pâtir, une agression à supporter. La souffrance est ce que l'homme fait de sa douleur, elle englobe ses attitudes, c'est-à-dire sa résignation ou sa résistance à être emporté dans un flux douloureux, ses ressources physiques ou morales pour tenir devant l'épreuve. Elle n'est jamais le simple prolongement d'une altération organique, mais une activité de sens pour l'homme qui en souffre. Elle nomme l'élargissement de l'organe ou de la fonction altérés à toute son existence. Mais si la souffrance est inhérente à la douleur elle est plus ou moins intense selon les circonstances. Un jeu de variations existe de l'une à l'autre. La souffrance est une fonction du sens que revêt la douleur, elle est en proportion de la somme de violence subie. Elle est une mesure intime de la douleur ressentie. Elle peut être infime ou tragique, elle n'est jamais mathématiquement liée à une lésion.
Dans des circonstances maîtrisées par l'individu, la souffrance est insignifiante et permet alors de connaître des situations limites comme dans le sport extrême ou le body art, par exemple. Une douleur choisie et maîtrisée par une discipline personnelle dans un but de révélation de soi ne contient qu'une parcelle dérisoire de souffrance, même si elle fait mal. En revanche, la souffrance déborde à l'infini la douleur dans le cas notamment de la torture, c'est-à-dire d'une douleur infligée par un autre sans être en mesure de l'en empêcher. Une douleur infligée de manière traumatique laisse une trace de souffrance même lorsqu'elle s'efface. Elle mutile une part du sentiment d'identité de l'individu qui n'arrive jamais tout à fait à oublier. Entre douleur et souffrance, les liens sont profondément significatifs et ouvrent la voie d'une anthropologie des limites. Si la douleur est un mot au singulier pour celui qui l'éprouve, elle revêt en fait une myriade de significations. S'il existe une pluralité de douleurs, c'est d'abord parce qu'il existe une pluralité de souffrances.
C'est la souffrance qui détruit l'homme. C'est pourquoi, s'agissant de malades ou d'accidentés, de victimes de traumatismes ou de tortures, la technique médicale est insuffisante, même si elle est fondamentale. La qualité de présence auprès du malade, l'accompagnement, l'instauration d'une confiance sans défaut avec l'équipe soignante sont non moins essentiels. Le soulagement efficace de la douleur, parce qu'il implique simultanément une action sur la souffrance, sollicite une médecine centrée sur la personne et non seulement sur des paramètres biologiques. L'expérience des soins palliatifs montre combien l'accompagnement des malades en fin de vie a une valeur d'atténuation ou de suppression d'une douleur qui n'est jamais seulement « physique », mais touche l'homme en son entier, bouleverse son existence.

* Professeur de sociologie à l'université Marc-Bloch de Strasbourg, auteur notamment d'« Anthropologie de la douleur » (Métailié) ou « La peau et la trace. Sur les blessures de soi » (Métailié).

Le Quotidien du Médecin du : 11/03/2005

lierre_fleur445

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